Ennui et tickets moitié prix [PV Vesper]

21 heures 30. Et exactement trente minutes que Drake tournait en rond dans son appartement. Il était un homme d’action et on ne lui avait pas appris à rester en place et surtout pas enfermé dans son propre appartement. Manipulant une balle antistress entre ses doigts, il songea au fait qu’il aurait sûrement du envoyer une lettre de plaintes pour publicité mensongère, cette satanée boule en mousse ne l’aidait en rien et l’énervait au contraire encore plus. Pris d’une pulsion, il envoya la balle contre l’un des murs de son appartement et se laissa retomber sur le clic-clac qui lui servait de canapé. Beau concept que celui du clic-clac, ce n’était certes pas très agréable visuellement mais ça aidait vraiment lorsque vos amis sont trop beurrés pour prendre le volant et qu’ils doivent s’installer chez vous pour la nuit.

Toujours sur les nerfs de ne rien avoir à effectuer pour la soirée, il jeta un coup d’œil à l’horloge suspendue juste au dessus de sa télévision. Il soupira longuement, il lui faudrait encore bien quatre bonnes heures pour trouver le sommeil et que faire pendant quatre heures lorsque l’on est tout seul chez soi ? Drake se leva finalement et fit quelques pas dans son appartement, puis, passant une main lasse dans ses cheveux, il décida que faire du rangement dans son appartement lui ferait sûrement perdre au moins une heure, ce qui n’était pas négligeable. Il commença ainsi à mettre de l’ordre dans les tas de publicité qui se trouvait sur la table basse du salon, jetant au fur et à mesure les publicités, passant d’une offre pour une marque de lessive célèbre à la toute nouvelle voiture d’une entreprise mondialement connue. Au bout de quelques secondes et une dizaine de publicités sans intérêt jetées à la poubelle, il tomba sur une affichette qui attira son attention. Il la sortit du lot et l’examina de plus près.

* Place de cinéma à moitié prix jusqu’en Février pour l’achat d’un ticket pour les films réservés au moins de 16 ans, dans la catégorie Thriller et Horreur… *

Il songea pendant quelques secondes à l’offre tombée du ciel puis se redressa brusquement. Il jeta un œil aux horaires des films d’horreur et se précipita ensuite vers la porte de sortie de son appartement, attrapant sa veste en cuir à la volée.

Il ne fallut que quelques minutes au jeune homme pour arriver au cinéma, il gara sa moto dans un parking payant (elle était bien trop précieuse à ses yeux pour la laisser dans une ruelle sans surveillance) et se dirigea vers l’entrée du cinéma. Il se mit à faire la queue, queue qui allait jusqu’au dehors du cinéma. Regardant la foule agglutinée, il soupira.

*Je ne suis apparemment pas le seul à avoir vu l’offre ce soir…*

N’ayant que ça à faire en attendant son tour, Drake se mit à détailler la foule qui se tenait devant lui et également derrière (certains étant venus se rajouter au fur et à mesure). Et au bout de quelques secondes, c’est avec horreur qu’il s’aperçut qu’il devait être le seul à être venu seul justement. Tout autour de lui, des couples, des familles, mais pas d’âme solitaire. Baissant la tête, il marmonna entre ses dents :

« Je suis vraiment le seul crétin à aller au cinéma seul, et surtout un vendredi soir... »

Vesper se demandait ce qui lui avait pris de sortir ce soir. Elle n’avait pas eu envie de rentrer chez elle. Il était 21 heures et elle sortait du bureau. Bien entendu, comme toujours, c’est elle qui avait fait la fermeture en compagnie du personnel d’entretient. Tous la connaissait pour les heures qu’elle passait enfermée la nuit dans son bureau. Elle devait faire de la peine. Aucun famille qui l’attendait, pas vraiment d’amis en dehors du boulot non plus. Bien sur, elle aurait du passer sa soirée au bureau, lire les compte rendus de ses agents, signer des demandes. Elle avait encore tout une pile qui n’attendait que ça. Tout ça l’ennuyait. C’était un travail assez monotone. Le terrain lui manquait parfois. Elle avait eu besoin soudainement, sans pouvoir se l’expliquer, de respirer l’air pur. Elle était donc sortie dans l’intention de marcher. Sa voiture était restée dans le parking et elle avait préféré errer. Vesper aimait le froid. Elle y était insensible et il lui éclaircissait les idées, lui donnait un regard plus aigue sur le monde. Et finalement le cinéma l’avait attiré. Du moins, la vie l’avait attirée. Depuis combien de temps n’avait-elle pas mis les pieds dans un établissement comme celui-ci ? Un sourire amusé mais fatigué envahit son visage. Parfois, il lui semblait ne plus avoir sa place dans le monde des vivants. Elle vivait dans le passé plus que tout autre personne. Pourtant, elle se répétait comme un mantra qu’il fallait l’oublier et aller de l’avant. C’était un mensonge. Un piètre consolation pour arrêter de rabâcher ses erreurs, ses zones d’ombre.

Le vent jouait dans ses cheveux alors qu’elle s’asseyait sur un des bancs du square portant en face de la façade animée. La foule l’apaisait étrangement. Elle aimait l’agitation bénéfique de la ville. Elle frissonna soudain, en ce froid de décembre. Les feuilles des arbres bruissaient et la pénombre l’entourait. Voilà de quoi son monde était fait. Une barrière s’était érigée entre elle et le monde. Elle travaillait parfois comme une automate. À 30 ans, Vesper se demandait comment tous ses rêves avaient pu partir en fumée les uns après les autres. Bien sur, elle avait une vie superbe en apparence. Tout le monde l’admirait. Mais, en vérité, elle avait tout raté. Toujours célibataire, après une relation sérieuse qui avait tourné court avec un collègue, elle n’avait toujours pas de famille bien à elle. Quand au travail, elle voulait pouvoir encore frémir sous l’anticipation, sentir l’adrénaline courir librement dans ses veines. Le bureau était tellement prévisible.

Saisie d’une brusque impulsion, elle traversa la rue et se joignit à la joyeuse cohue. Levant la tête, elle contempla un instant les affiches illuminées. Il y avait des réductions pour les thriller. Avait-elle vraiment envie de voir ce genre de film alors qu’elle vivait ce quotidien ? Non, pas vraiment. De toute façon, elle n’avait pas vraiment envie de voir un film. C’était plus pour se sentir entourée, de ne pas être seule pour une fois. Bien sur, la solitude ne la dérangeait pas tant qu’elle n’avait pas de pensée noire. Mieux valait pour elle de ne pas penser au futur mais seulement au présent. Elle était bien la seule responsable d’une section d’agence fédérale à aller au cinéma. Se laissant porter par le mouvement, elle continua d’avancer, insensible aux bruits, aux rires. Jusqu’à entendre une phrase qui lui fit dresser l’oreille.

« Je suis vraiment le seul crétin à aller au cinéma seul, et surtout un vendredi soir... »

Ça n’avait été qu’un murmure, et pourtant cette petite phrase, pleine d’amertume l’avait touché comme un cri. C’est alors qu’elle prit conscience qu’effectivement, autour d’elle, des familles, des groupes d’amis, des couples patientaient mais aucun célibataire, sauf elle. Tournant la tête, elle essaya de repérer celui qui avait murmuré ça. Elle le vit, un rang plus loin. Un homme, la vingtaine. Elle s’approcha, faisant fi des protestations alentours. La plupart ne la voyaient même pas de toute façon.

« Dans ce cas, j’imagine que nous deux… » déclara-t-elle, restant légèrement derrière lui.

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